Le 20 octobre, des associations se sont réunies avec José Gualinga, représentant du Peuple autochtone Kichwa (Village de Sarayaku, Equateur) à la Casa Nicaragua pour découvrir les enjeux et menaces qui planent sur l'Ecole biculturelle de Sarayaku "Tayak Wasi"... et organiser la mobilisation !

Anne André, volontaire chez IAI, était présente pour nous à cette réunion et nous livre son compte-rendu.

"Vu d’ici, les difficultés de la petite école Tayak Wasi à Sarayaku peuvent sembler secondaires dans la lutte pour la protection de la planète. Et pourtant… Voici un bref rappel de la situation, après la rencontre avec José Gualinga, représentant de la communauté, ce 20 octobre 2016.  Vous comprendrez l’importance de la campagne à laquelle IAI vous invite à participer.

En mai, Angun Gualinga alertait les soutiens de Sarayaku : Tayak Wasi, leur centre d'éducation traditionnelle, risque de disparaître suite aux nouvelles réformes de l’enseignement mises en œuvre en Equateur : l’Education du Millénaire et l’UES.

L'éducation du Millénaire: Ce projet gouvernemental doit réunir tous les établissements, dès le primaire, en offrant les infrastructures immobilières et technologiques qui permettront à l’Equateur d’entrer dans la modernité. Il implique la suppression des petites structures créées par et dans les différentes communautés, avec la certification des cursus qui s’y réalisaient. Il ne tient aucun compte des difficultés de déplacement et donc il sépare les enfants de leur famille ou oblige celles-ci à déménager vers de plus grands centres de peuplement. Cela entraînera immanquablement l’éclatement des communautés et donc la disponibilité de leurs territoires pour les projets extractifs.

L’Unité éducative pour la zone de Sarayaku (UES) par la fusion des structures éducatives actuellement existantes : l'école Simon Hurtado, le Collège de Sarayaku et Tayak Wasi. Bonne idée en théorie, elle va en réalité aboutir à un alignement sur le système d'éducation hispanique et à la subordination des enseignants aux réformes et décrets décidés au niveau des Districts et des Zones. Cela exclut les savoirs collectifs considérés comme nécessaires par les Kichwas, un enseignement garant des principes de solidarité et d'autonomie.

Tayak Wasi enseigne à la fois les savoirs « modernes » et « traditionnels » ; autrement dit, elle transmet le sens de la vie en forêt amazonienne et les moyens de lutter pour la protéger, en tant que forêt, lieu de vie et culture. Tayak Wasi est une école de résistance. En même temps, elle prépare aux niveaux supérieurs et développe des qualités que notre propre enseignement européen considère à présent comme indispensables pour le futur de l’humanité : solidarité, responsabilité, capacité à interroger, à décider ensemble, etc.

En mai, Angun Gualinga prévoyait que l’équipe éducative propre à Tayak Wasi serait dissociée, déplacée dans la nouvelle UES. Déjà, certains professeurs ne voulaient plus lutter. Pourquoi, après des années de travail commun, cèdent-ils face à la pression de l’Etat ? C’est leur employeur. Le peuple de Sarayaku n’est pas un objet de musée, un village gaulois de bande dessinée, ce sont des gens comme nous, tiraillés entre la tradition et les attraits de la modernité, entre la solidarité avec les autres kichwas et le désir de travailler, de valoriser leur diplôme.

La création de la nouvelle UES, en provoquant la disparition de Tayak Wasi, fait donc partie d’une stratégie globale de l’Etat équatorien, visant à faire accepter l’uniformisation de l’éducation dans l'Ecole du Millénaire. Elle prépare la disparition de la culture kichwa de Sarayaku.

Il ne s’agit pas de folklore, mais d’un lien vivant et interactif avec la nature, de l’exercice d’une responsabilité, de la réalisation d’un travail à l’intérieur de la forêt amazonienne. La vie des peuples « non-industriels » a longtemps été considérée comme de paresseuses vacances ; mais à présent nous pouvons mesurer, grâce aux images satellites, l’effet protecteur de leur présence sur les sites naturels, bien plus efficace que le statut de parc naturel protégé. Comme dit José Gualinga, la vie dans la forêt, ce n’est pas un promenade, c’est dangereux, c’est un travail de tous les jours.

Aujourd’hui, fin octobre, des gens de Sarayaku continuent à lutter : les parents de 80 enfants, les anciens élèves et les membres de l'association Atayak (qui coordonne la Frontière de vie, le Centre de santé traditionnelle et le Jardin botanique). La structure de Tayak Wasi se reconstitue autour de deux enseignants. Il faut d'urgence reconstruire deux salles de classe traditionnelles avec des feuilles du palmier Wayuri et incorporer un-e formateur-rice aux savoirs ancestraux.

De fait, la nécessité de reconstruire les bâtiments traditionnels de Tayak Wasi a été un argument pour la direction de l’UES, qui a privilégié d’autres implantations « en dur ». Choisir l’auto-construction traditionnelle n’est pas anodin : elle évite l’agression de la forêt par l’utilisation de grosses machines et l’introduction de matériaux non écologiques, assure la transmission d’un savoir concret, sollicite la participation communautaire et renforce donc les liens et l’implication des parents.

La communauté de Sarayaku propose donc de faire une minga (travail collectif) entre nous tous pour construire cette maison traditionnelle, ainsi que pour le financement du formateur pour au moins 6 mois, afin de poursuivre l’activité l'école du Tayak Wasi dans le village de Sarayaku et d'empêcher sa fermeture."