Au cours de l'année 2017, Julie Degee est partie au Pérou en tant que volontaire. Elle s'est alors investie dans un projet autour du tissage. Voici son témoignage.

Naissance du projet

©Jean-Luc Princen

J’ai eu écho du projet d’IAI sur les maisons du savoir au Pérou suite à des cours de kichwa (organisés par IAI) que j’ai suivi par curiosité l’année dernière à Liège. Un projet de voyage trottait déjà dans ma tête depuis un bon moment et il me fallait tomber sur un projet dans lequel je pourrais m’investir. La rencontre avec Juan Ccoa, qui a dispensé ces cours, et faisant partie de l’association « les jeunes inkas vivants » a été un déclic. De fil en aiguille, mon projet de voyage s’est concrétisé grâce à Danielle Meunier. Ce projet de récupération et valorisation des savoirs locaux et de la culture vivante m’a tout de suite touchée. L’envie d’aller à la rencontre de personnes, de découvrir une autre représentation du monde, une manière de penser et de vivre d’une autre culture m’appelait depuis un bon moment déjà.

Un autre aspect qui m’intéressait était de partir à la découverte et expérimenter cette notion de Buen Vivir, qui était encore pour moi source de nombreux questionnements. Dans le cadre de ces maisons du savoir, des projets émanent des communautés, Danielle m’a parlé de la volonté de travailler autour des tissages.

 

J’ai pris la balle au bond et décidé de me plonger dans cette thématique qui ne m’était pourtant pas du tout familière… Je suis donc partie apprendre et découvrir sur cet art traditionnel, ouverte et curieuse de ce que j’allais y rencontrer. L’idée est vraiment de construire quelque chose avec les personnes des communautés, une construction collective de savoirs. La transmission de ce savoir-faire s’est toujours transmis de génération en génération de manière orale, par l’observation et l’expérimentation.

Les personnes des communautés ont cependant émis l’envie de produire un écrit afin de garder une traceet pouvoir le transmettre également à d’autres.
Cette production permettra peut-être de voir les changements au cours du temps et de revaloriser cet art textile vivant qui reflète une culture,
une identité, une histoire. Le but sera donc de réaliser une sorte de répertoire comprenant les multiples symboles et significations des tissages
de cette communauté à travers une observation participante et différentes rencontres avec ces personnes, ayant chacune une histoire de vie propre.

« Tisser des liens, une culture vivante de l'art textile au quotidien »

Dans le cadre du projet yachai wasi visant à récupérer les savoirs ancestraux, les femmes tisserandes des communautés de Cuenca Patacancha avec lesquelles travaille l'association “jeunes inkas vivants”, ont émis le souhait d'élaborer une sorte de registre reprenant les différents icônes apparaissant sur les textiles et tissus locaux. Ces symboles, passés et présents, reflètent la culture locale vivante. A travers cette production artistique, ces femmes nous dévoilent une histoire, leur manière de voir et de vivre le monde, inspirées par l'observation de la nature qui les entoure.

Le tissage, comme art vivant, regroupe un ensemble de signes qui expriment un langage propre à chaque communauté, des valeurs et formes ainsi qu'une véritable expression culturelle. Ces femmes écrivent à travers le tissu et ont, pour ainsi dire, de l'encre plein les mains !

Cet art, reprenant des savoirs, savoirs faire et savoirs être, se transmet traditionnellement de manière orale. La plupart des femmes rencontrées sont d ailleurs analphabètes et ne parlent principalement que le quechua. Les savoirs s'acquièrent à travers l'apprentissage et l'expérience, en reproduisant ce qui a été observé. Il y a également une grande part d'imagination, de créativité dans chaque production. Les tisserandes y transmettent un message, une partie d'elles également où elles y tissent le passé, le présent et l avenir. Elles sont véritablement une mémoire, une bibliothèque ouverte et vivante de la culture et l'histoire de la communauté.

A l'heure de la mondialisation, le vêtement traditionnel andin est le produit de multiples changements, un ensemble d'héritages, d'adaptations et de pertes… La jeunesse peut parfois sembler délaisser cette tradition qui fait pourtant partie intégrale de sa culture. Il nous parait donc important de revaloriser ces savoirs.

Ce projet écrit permettra de mettre sur papier ces savoirs réunis, ces voix rassemblées et participera, nous l'espérons, à revitaliser et redonner vie à chaque symbole textile en tentant également de leur donner, en commun, une interprétation. Ce travail ne se veut pas exhaustif ni complet étant donné le caractère dynamique de cet art sans cesse en mouvement. Chaque région ayant sa propre symbolique, il se basera essentiellement sur ces communautés particulières. Ce projet se propose donc comme un essai de collecte et d'interprétation de l'iconographie textile, comme registre des savoirs et d'expériences. Il vise à mettre à l'honneur cette tradition mais aussi à préserver, conserver, impulser et diffuser cet art qui reflète de manière créative et dynamique la cosmovision de ces communautés andines, en harmonie avec la nature, et ainsi éclairer les dimensions sociales et culturelles de ces populations.

Le tissage est loin d'être un art archaïque et ce travail soulignera cette tradition encore bien vivante. Cette construction collective de savoirs s'élaborera de manière participative. Le catalogue auquel on aspire arriver sera la voix des tisseuses et représentera un réel apport à la communauté afin de revaloriser, transmettre et découvrir cette dimension de la culture locale… Et ainsi tisser des liens entre générations et peuples.